Le feed-back est une compétence et un processus relationnel bien connu des pratiques managériales qui visent le développement des personnes tout autant que le développement de la performance des organisations. Il permet de poser un regard sur une personne et de la nourrir d’informations le concernant.

Il est généralement perçu comme étant au service du développement du potentiel de celui qui le reçoit. Positif, il permet à une personne de mieux percevoir ses compétences, ses atouts, ses qualités profondes. Négatif, il permet de comprendre ses limites et leurs impacts.

Nous proposons ici de regarder le feed-back dans une dimension réflexive qui amène sur la construction identitaire[1] de celui qui le donne.

Et nous allons regarder cette proposition sous 3 angles : celui de la cybernétique, celui des neurosciences et celui de la psychologie positive.

1 – Le feed-back sous l’angle de la cybernétique

La cybernétique[2] est l’étude des mécanismes d’information des systèmes complexes. Elle s’intéresse aux rétroactions, aux causalités circulaires dans la circulation de l’information. C’est elle qui a inventé le mot de « feed back » et donné lieu à une discipline pleine et entière : la systémie.

D’un point de vue cybernétique, deux personnes qui communiquent ont une influence réciproque l’une sur l’autre. C’est-à-dire que toute influence est à la fois effet et cause et s’exerce dans les 2 directions. La relation managériale illustre aisément cette double influence : plus un collaborateur développe son autonomie, plus le manager doit bouger sa posture pour laisser de la place aux compétences nouvellement acquises.

Si je sais nommer l’influence que l’autre a sur moi alors je peux le nourrir d’une information à laquelle il n’aurait pas accès sans moi : celle de son impact positif, comme négatif. Prenons l’exemple du système constitué de deux personnes dont l’une adresse un signe de reconnaissance[3] à l’autre : « je perçois ta capacité à structurer, comme une compétence pour avancer sur cette problématique ».

Moteur de croissance, le signe de reconnaissance a un effet bien connu sur le développement de celui qui le reçoit : se sentir reconnu donne confiance et permet de diminuer ses conflits intérieurs.

En intégrant la dimension cybernétique de l’échange, ce signe de reconnaissance gagne en puissance si le donneur l’enrichit d’une description précise de la boucle de causalité générée par la relation : « ta capacité à structurer m’a permis de comprendre les différents aspects de cette situation complexe. Je la perçois comme une compétence pour avancer sur cette problématique ».

Cet effet amplificateur marche dans les 2 directions :

Celui qui reçoit a une idée beaucoup plus précise et concrète de l’impact de sa compétence : cela lui donne beaucoup plus clairement à voir quelle influence positive peut être la sienne. Cela apporte du crédit au signe de reconnaissance.

Celui qui donne a un travail d’exploration à faire qui fortifie sa capacité à penser de manière systémique et qui l’oblige à développer une conscience plus affutée de ce qui se passe pour lui :

  • J’explore l’impact que la personne a sur moi => j’affute la perception de ce qui se passe en moi => je développe ma conscience et donc mon autonomie => je me développe.
  • Je dis à l’autre l’impact qu’il a sur moi => l’autre affute la compréhension de l’impact qu’il a sur son environnement => il développe sa conscience et sa responsabilité => il se développe.

A chaque fois que j’enrichis le regard que je porte sur une personne de la rétroaction cybernétique de notre relation, je développe ma capacité à dire ce que je vis, à explorer en quoi l’influence est possiblement positive et renforce notre relation, en quoi elle est possiblement négative et met ainsi à jour mes propres besoins.

Donner du feed-back régulièrement devient ainsi un moteur de ma propre croissance par l’apprentissage de la connaissance de moi.

2 – Le feed-back sous l’angle des neurosciences

L’hypothèse formulée par le professeur Antonio Damasio[4] est que les sentiments sont les déclencheurs de questionnement, de compréhension et de résolution de problème tout autant que l’identification de moyens d’épanouissement durable.

Explorer les sentiments générés par les situations que nous vivons nous permet de nous adapter aux situations difficiles dans la perspective de réduire notre souffrance et d’élaborer de nouveaux moyens d’épanouissement.

D’une certaine manière, c’est la souffrance qui a conduit les humains à l’introspection pour inventer des compensations, des correctifs, des solutions… et c’est le plaisir et l’enthousiasme qui a souvent guider leurs actions individuelles et collectives. Antonio Damasio pose que c’est la perception de la valeur des événements vécus (les sentiments) qui génère la création intellectuelle.

Dans la perspective des neurosciences donner du feed-back (tel que nous l’avons défini d’un point de vue cybernétique) a donc clairement un impact sur le développement de celui qui le donne : il ouvre la perspective à ce dernier de chercher des pistes de solutions pour amplifier son sentiment d’épanouissement ou pour diminuer un sentiment désagréable. Il le met en situation de déclencher sa créativité à maintenir son état stable (homéostasie).

Nous savons aujourd’hui que le cerveau se transforme en fonction des expériences et des apprentissages de son propriétaire, en lien avec les sollicitations de son environnement : il crée de nouvelles connexions, élague les connexions devenues inutiles et renforce les connexions très sollicitées. C’est le roi de la plasticité !

Le cerveau cherche à optimiser le recueil et le traitement d’informations. Sauf pour les tâches routinières, notre attention est captive et sélective. Notre cerveau a 2 modes de pensée : l’un automatique faisant appel à nos croyances et nos habitudes qui permet de réagir et décider vite, l’autre basé sur le raisonnement. Pour accéder à celui-ci nous devons bloquer le mode automatique.

Travailler finement à identifier l’influence que l’autre a sur nous – tel que suggéré par l’approche cybernétique – inhibe nos réactions automatiques pour activer le raisonnement.

Les neuroscientifiques ont montré que cette fonction d’inhibition des mécanismes automatique acquis joue un rôle clé dans l’apprentissage : on apprend d’autant mieux que l’on est attentif, concentré et vigilant et que nos capacités associatives sont sollicitées. Et il se trouve que s’adonner au feed-back permet à la fois de :

  • mobiliser son attention : si je sais que je dois donner un feed-back je mobilise mon attention pour le préparer et être attentif à ce qui se passe ; si j’en reçois un, cela mobilise aussi mon attention sur l’avenir ;
  • se concentrer sur ce qui se passe pour soi ;
  • faire des liens entre ce que fait l’autre et ce qui est vécu.

Donner du feed-back régulièrement invite mon cerveau à être dans une dynamique d’apprentissage et donc d’entretien et d’accroissement de mes compétences relationnelles.

3 – Le feed-back sous l’angle de la psychologie positive

La « psychologie positive » invite à focaliser son attention sur ce qui fonctionne bien. A son origine, Martin Seligman, psychologue, monte un groupe de recherche dans une approche à la fois expérimentale et quantitative[5], visant à observer comment les personnes qui n’ont pas de problème psychologique particulier, surmontent les difficultés de la vie.

Par extension, il s’agit de l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement et/ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des organisations (en cela elle est proche des psychologies humanistes). Cela signifie que la psychologie positive ne s’intéresse pas seulement à l’individu et à son bonheur, mais aussi aux relations interpersonnelles, avec par exemple des recherches sur l’empathie, la gratitude, le pardon, la confiance en autrui, la coopération.

Sur la base de ces recherches expérimentales, 5 déterminants du bien-être ont été identifiés :

  • les émotions positives: conduites en laboratoire et sur des groupes important, l’expérience montre que les émotions positives impactent durablement la santé physique et mentale ;
  • l’engagement: l’engagement dans une activité mêlant défi et compétence, avec une progression visible, contribue à l’état de « flow », sentiment de plénitude bien décrit par Mihaly Csikszentmihalyi dans les années 1990 ;
  • les relations positives: les émotions positives permettent de développer des relations sociales plus nombreuses et de meilleure qualité : les compétences émotionnelles se traduisent dans des compétences relationnelles ; à l’inverse les neurosciences ont montré que l’exclusion sociale active les mêmes zones que la douleur physique intense ;
  • le sens: dans la lignée de Viktor Frankl, être en capacité à trouver une signification aux situations favorise la bonne santé ;
  • l’accomplissement du sens: l’autonomie inhérente au fait de trouver un sens au situations voire à sa vie devient, dans l’action, un moteur de l’estime de soi.

Regardons la pratique régulière du feed-back à la lumière de ces 5 déterminants.

Donner du feed-back permet de dire les émotions vécues. La conscience de l’émotion renforce l’expérience de l’émotion. Donner un feed-back positif contribue de ce point de vue à vivre des émotions positives.

Donner du feed-back requière clairement des compétences d’exploration de soi et de capacité à dire. En cela, c’est un processus dynamique et engageant dont la rétroaction est immédiate puisque l’effet sur le receveur est soit visible instantanément, soit questionnable par le donneur.

Donner du feed-back conduit à chercher à rencontrer l’autre en tant que personne, à le confirmer en regardant ses qualités, ses compétences, ses potentialités. Une personne qui reçoit un feed-back positif ou négatif accède à de nouvelles possibilités de progrès. D’un point de vue de la relation, le receveur se sent regardé, important. On peut dire que donner du feed-back s’inscrit dans une intention positive de développement de la relation.

Dans le cadre d’un groupe ou d’une organisation, donner du feed-back a finalement un lien fort avec l’accomplissement des finalités du groupe ou de l’organisation. Lorsque la culture du feed-back est développée alors la performance est accrue car c’est un processus de coopération : chacun peut vivre sa compétence et soutenir le développement de celle des autres.

Le feed-back est donc bien un processus que la psychologie positive peut regarder comme contributif au fonctionnement optimal d’une personne.

Donner du feed-back régulièrement contribue à mon épanouissement et au renforcement de mon estime.

4 – Une définition du feed back

L’examen de l’action de donner du feed-back sous ces 3 perspectives, nous permet d’en tenter une définition plus précise.

Nous nommons feed-back l’information qui décrit l’influence d’une personne sur une autre et, en même temps, le processus qui consiste à construire en parité des pistes pour amplifier l’effet positif de l’influence ou pour en diminuer un sentiment désagréable.

Donner du feed-back à quelqu’un consiste alors à :

  • Délivrer une information construite sur :
    • L’observation : basée sur des exemples concrets de situations vécues, elle met au travail le cerveau sur le circuit de l’attention et des mémoires. Elle invite à une position dite méta consistant à regarder l’autre au-delà de ce qu’il fait ou de de qu’il dit.
    • Les effets : c’est l’exploration de soi qui permet d’examiner les impacts émotionnels et opérationnels que l’autre a sur nous.
  • Dialoguer pour préciser les éléments d’observation et réfléchir à renforcer ou changer les effets.

Donner du feed-back pour stimuler/renforcer son développement identitaire

Les effets du feed-back sont donc tout à fait notables sur la personne qui s’adonne à cette pratique car elle favorise la conscience et le discernement. En cela c’est une pratique contributive du développement de la responsabilité et de l’autonomie.

Outre les effets très positifs sur la personne :

  • estime de soi,
  • sécurité ontologique et relationnelle,
  • capacité à écouter ses propres besoins et à les traiter,
  • capacité à se prendre en charge dans une dynamique de co-responsabilité

donner du feed-back invite à façonner un regard positif sur les autres qui – déployé au sein d’une équipe ou d’une organisation – renforce la confiance, la coopération et la performance !

Article rédigé par Christine BUORS , Co-gérante de Didascalis, Octobre 2019

 

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[1] Nous nommons construction identitaire l’art de renforcer qui nous sommes sur les aspects de l’estime de soi, de la sécurité intérieure et relationnelle ; l’identité comme un sentiment de cohérence.

[2] Norbert Wiener est le mathématicien qui inventa ce terme pour désigner un ensemble de recherches sur visant à aborder dans une approche unifiée la communication, aussi bien dans l’être vivant que dans la machine.

[3] tel que défini par l’Analyse Transactionnelle.

[4] Antonio Damasio, l’ordre étrange des choses.

[5] Par exemple, des chercheurs américains ont étudié 150 ans d’archives d’un couvent pour identifier les liens entre gratitude et émerveillement d’un côté et santé et durée de vie de l’autre.